Chine – Etats-Unis : Busan, à la recherche d’un équilibre fragile

Chine - Etats-Unis : Busan, à la recherche d'un équilibre fragile
Les 27 et 28 octobre, à Busan, en Corée du Sud, se tenait la quatrième réunion du Conseil consultatif des affaires de l’APEC. En marge de ce conclave économique réunissant les représentants des 21 économies de l’Asie Pacifique, Donald Trump et Xi Jinping se sont retrouvés pour la première fois depuis 2019 lors d’un entretien d’environ deux heures. Centré sur la souveraineté technologique, la stabilité régionale et la guerre des droits de douane, l’échange a pris la forme d’une diplomatie de calcul mesurée au mot près. Cette trêve, en apparence pragmatique, masque une entreprise méthodique de reconfiguration du rapport de force en Asie : derrière le ton conciliant de la Chine se profile l’idée d’un ordre politique régi par la souveraineté économique plutôt que la règle de droit, et d’une diplomatie d’orbite où les partenaires graviteraient autour de son influence. En clair, redéfinir les règles du jeu politique en Asie.
La Chine à la recherche d’une trêve tactique
La tension est manifeste et la Chine de 2025 n’est plus celle que Donald Trump a connue lors de son premier mandat. Poussée par le protectionnisme américain, l’appareil étatique chinois a intégré les logiques de son adversaire pour les détourner à son avantage : le PCC a su convertir la pression des droits de douane en un levier stratégique en diversifiant ses débouchés vers l’Asie du Sud-Est, l’Europe et l’Afrique, ainsi qu’en consolidant ses positions au sein du Regional Comprehensive Economic Partnership. En outre, elle renforce son autonomie technologique dans les domaines des semi-conducteurs, des composants critiques et les infrastructures 5G, s’appuyant sur la domination des terres rares, dont elle extrait 69% des minerais et assure près de 90% du raffinage mondial. Sur le plan diplomatique, elle mobilise le Sud global via son projet des “Nouvelles Routes de la Soie” et les BRICS+, et détourne progressivement le commerce mondial de son lien avec l’Occident. Cette posture combine donc une riposte immédiate et une vision à long terme : transformer la contrainte en puissance et remodeler, par la planification et la projection stratégique, les règles mêmes de l’ordre économique international.
En dépit de cela, les deux homologues ont conclu un accord commercial significatif. Afin de désamorcer les tensions, la Chine a accepté de suspendre pendant un an certaines restrictions à l’exportation de terres rares, offrant par la même occasion un répit aux industries américaines dépendantes de ces matériaux stratégiques. Elle s’est également engagée à acheter au moins 12 millions de tonnes de soja américain d’ici la fin 2025, avec un objectif de 25 millions de tonnes par an pour les trois années suivantes. Pékin promet de renforcer ses efforts pour limiter le trafic de précurseurs de fentanyl vers les Etats-Unis. De son côté, Washington a accepté de réduire certains droits de douane, a envisagé la vente de microprocesseurs d’IA et annoncé de nouveaux plans d’exportation de gaz naturel liquéfié vers la Chine. Les discussions sur l’avenir de Tik Tok ont été relancées, tandis que les sujets géopolitiques sensibles à l’instar de l’indépendance de Taiwan, la guerre en Ukraine ou l’état de la paix dans le monde, ont été abordés sans qu’aucune avancée concrète n’émerge de l’échange.
Le président Xi Jinping indique : « nous devons, face aux tempêtes et défis, maintenir le bon cap et suivre le courant principal pour que le navire géant des relations sino-américaines avance dans la stabilité ». Si cet accord marque une trêve, il témoigne notamment la volonté triple d’inscrire une diplomatie bilatérale à long terme, de redéfinir les règles de la puissance économique et d’établir une maîtrise stratégique de la gouvernance.
Une diplomatie axée sur l’occidentalisation inversée
A l’issue de la quatrième Plénum du XXe Comité central du PCC, la Chine s’engage dans son 15ème Plan quinquennal (2026 – 2030). Ce plan vise à renforcer sa résilience stratégique, mobiliser ses atouts industriels et technologiques, et consolider son rôle dans l’ordre régional. Dans le contexte de la désoccidentalisation du monde encouragée par la Chine – notamment auprès des BRICS, cette mise à l’écart des paradigmes établis par les puissances occidentales ne se limite pas à une posture diplomatique : elle se traduit par une volonté d’autonomie stratégique souveraine vis-a-vis des capitaux occidentaux. A cet effet, dans le secteur technologique, la Chine met en œuvre une politique du « made in China 2025 » et fait le pari d’atteindre une autosuffisance de 70%. Ces initiatives permettent à Pékin de maintenir un contrôle strict sur des éléments sensibles : la conservation du dysprosium et du terbium, essentiels au processus de fabrication des semis conducteurs et d’équipements militaires. Les tensions autour de la production et de la vente de ces deux matériaux reflètent de manière limpide les enjeux économiques qui divisent les deux nations. Parallèlement, la Russie et la Chine règlent désormais 99,1% de leurs échanges bilatéraux en monnaies nationales : le contournement du système SWIFT consolide progressivement un système concurrentiel fondé sur la dé-dollarisation.
En définitive, il pourrait sembler légitime de s’interroger sur la portée réelle de cette détente commerciale : s’agit-il d’une véritable désescalade réelle ou illusoire ?
À l’ombre de Taiwan ?
L’hypothèse d’un accord sino-américain dans le cadre d’une coopération bilatérale durable et prospère expose l’épineuse situation de Taiwan : l’île ne pourrait devenir qu’une simple variable d’ajustement de cette relation. Si pour la Chine, Taipei demeure le symbole vivant de son intégrité territoriale et pilier de sa stratégie de réunification nationale, elle constitue, pour les Etats-Unis, a contrario, le dernier bastion de la présence libérale en Asie orientale. Alors que l’administration Biden percevait Taiwan comme un avant poste stratégique essentiel à la stabilité du Pacifique et à la préservation d’un équilibre de dissuasion face à la Chine, l’administration Trump, fidèle à sa logique transactionnelle, l’envisage avant tout comme le centre névralgique de la production mondiale des semi-conducteurs.
A cet égard, toute inflexion américaine sur le statut de Taiwan, même implicite, risquerait d’être interprétée comme un affaiblissement de la garantie de sécurité offerte par Washington à ses partenaires régionaux. A terme, une telle perception pourrait éroder la confiance du Japon, de la Corée du Sud ou encore des Philippines dans la solidité du dispositif d’alliance américain en Asie. Par ricochet, elle serait alors susceptible d’ouvrir la voie à une redéfinition des équilibres stratégiques au profit des BRICS et de Pékin.
L’épisode de Busan ne signe pas une paix économique, mais une trêve tactique. Les Etats-Unis tentent de contenir, la Chine à transformer. En privilégiant une stabilité apparente, Xi Jinping consolide ses marges de manœuvre, déplace les centres de gravité du commerce mondial et inscrit son ascension à l’horizon 2049. Cette trajectoire ne relève plus du seul domaine économique dans la mesure où elle esquisse la matrice d’une tendance internationale fondée sur la souveraineté technologique, économique et la régionalisation des échanges. Derrière la rhétorique du partenariat, la légitimité du modèle occidental vacille et laisse poindre l’aube silencieuse d’un basculement civilisationnel.
À propos de l'auteur
Noah VIDON
Diplômé en Relations Internationales et Sciences-politiques, Noah nourrit une passion ardente pour l’analyse géopolitique et la prospective stratégique. Sa fascination pour l’Asie, creuset de cultures et acteur clé de l’échiquier mondial, aiguise son ambition. Fort d’un regard multiculturel, il aspire à servir une action publique innovante, au cœur des politiques étrangères de demain.



